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[Monologue intérieur – Journal d’un astronaute appelé Tao, à dix ans de son départ]

Dix ans…

Dix ans que je flotte.
Suspendu. Ni vraiment là-haut, ni tout à fait redescendu.
Je croyais partir en mission. En vérité, j’ai été aspiré.

Il y a dix ans, j’ai quitté une Terre familière, lesté de convictions et d’insouciance.
Et depuis, je tourne. Autour de quoi ? Autour d’une idée, d’un rêve, d’un centre qui parfois s’efface.

J’ai croisé des planètes instables, des étoiles filantes, des comètes brûlantes.
Certaines m’ont frôlé sans s’arrêter. D’autres m’ont laissé des morceaux d’elles-mêmes que je transporte encore.

Combien de trajectoires ratées ?
Combien d’années-lumière perdues à suivre des signaux faibles, à croire que le nord était dans le cœur des autres ?
Et pourtant, je n’ai jamais été seul.
Chaque orbite, chaque détour, chaque collaboration était un fragment d’univers.

Et le cumul de ces orbites — le frottement de toutes ces trajectoires humaines — a fini par dessiner ma propre carte céleste.

J’ai aimé. J’ai construit. J’ai détruit.
J’ai été moteur, parfois passager clandestin de ma propre vie.
Et dans les interstices du doute, j’ai trouvé des visages :
Ceux qui m’ont tenu quand je perdais la gravitation.
Ceux qui m’ont poussé à explorer plus loin.
Ceux dont la fidélité a été l’oxygène silencieux de mon vaisseau.
Je ne les nomme pas. Ils savent.

Et j’ai appris — douloureusement — que l’univers est fait de deux forces :
La vanité, matière noire, qui gonfle le vide et déforme les distances.
Et l’amour, lumière gravitationnelle, qui rassemble, éclaire et répare.
L’épreuve nous fait osciller entre les deux.
Mais elle ne ment jamais.
Elle nous pousse à choisir.

Dix ans. Ce n’est pas une victoire.
C’est un passage. Une secousse douce et continue.
L’épreuve n’est pas finie — et c’est tant mieux.
Car tant que je tourne, j’apprends à désapprendre.
Et dans ce vertige, je trouve parfois l’équilibre.

Alors non, ce n’est pas l’anniversaire d’EBF.
C’est juste un moment suspendu,
où un homme, là-haut, là-dedans, là-dessous…
regarde l’espace en lui. Et remercie.