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MLP – D’Ibn Arabi, de Michel-Ange et de David dans la pierre à tailler

De la viabilité à l’aimabilité

Dans le lexique entrepreneurial, certaines expressions deviennent des totems. Le MVP – Minimum Viable Product — en fait partie. Prononcé à toute occasion, érigé en principe, il semble répondre à tout : lancer vite, tester tôt, corriger souvent. Mais que reste-t-il du sens originel ? Et surtout, que reste-t-il à espérer de la seule viabilité, quand tant de projets ont été mis en morgue malgré leur conformité au modèle ? La viabilité est-elle encore une fin suffisante dans un monde qui aspire à ce qui réconcilie l’utile et le sensible, l’impact et l’harmonie ?

Michel-Ange, devant son bloc de marbre, ne cherchait pas à créer David. Il le voyait déjà là, enfermé dans la matière. Son travail n’était pas d’ajouter, mais d’enlever – tout ce qui n’était pas David. Cette anecdote, entendue un jour dans l’émotion d’une visite à Florence, résonne avec une autre sagesse : celle du soufi. Celui qui cherche non à s’enrichir, mais à se délester. Non à s’étendre, mais à se recentrer. Qui retire, couche après couche, ce qui n’est pas amour, ce qui n’est pas vérité.

Un produit aimable ne se conçoit pas comme une équation. Il se sculpte, il s’épure, il s’approche. Il exige un autre regard, un regard de sculpteur.

Notion suit cette logique. C’est un peu comme un cahier de vacances pour les esprits curieux – à la fois libre et structuré, sérieux sans se prendre au sérieux. On y entre comme dans un loft baigné de lumière, où chaque module est un meuble qu’on peut déplacer à sa guise, chaque bloc une pensée qu’on façonne comme une phrase dansante. Les menus sont discrets, les typographies chantent doucement, et tout respire une forme de joie tranquille. Notion ne force rien – il accompagne. Il donne envie de créer, d’écrire, de penser. Et cette envie-là est contagieuse. Là encore, l’aimable précède le scalable.

Un autre exemple frappant est celui de Figma. Avant même de défier les géants du design collaboratif, Figma a conquis ses utilisateurs par une fluidité d’usage, une beauté d’interface et un esprit communautaire rare. Ce n’était pas une promesse marketing, c’était une expérience partagée. Figma a d’abord été adoré par une niche exigeante avant de devenir un standard mondial. Voilà ce qu’est un Minimum Lovable Product : quelque chose qu’on aime avant même de s’apercevoir qu’on en avait besoin.

Ce vendredi, entre les murs familiers de notre salle de conférence, c’est grâce à Nisrine, qui a eu la grâce de faire émerger ce sujet, et à Saad, dont le génie silencieux a traversé la pièce avec la clarté d’une évidence, que ce mot a resurgi : MLP, Minimum Lovable Product. Trois lettres, mais une boussole. Et dans l’air, comme un frisson d’accord intérieur, le sentiment qu’il y a là une vérité oubliée.

Le rôle du product owner, dans cette lumière, prend un relief nouveau. Il n’est pas qu’un gestionnaire d’itérations, ni un technicien des arbitrages. Il est un artisan d’épure. Un veilleur du sens. Il doit savoir retirer les fonctionnalités qui encombrent, les artifices qui flattent, les effets qui distraient. Comme le soufi s’éloigne des illusions pour entrevoir le divin, il s’éloigne des gadgets pour faire émerger une cohérence essentielle. Il sait que la vraie force n’est pas dans le spectaculaire, mais dans la justesse.

“Don’t compete on features.”

Compétitionner sur les fonctionnalités, c’est courir à l’usure. Viser l’aimabilité, c’est parier sur la fidélité.

Le MVP, en cela, reste précieux. Il oblige à confronter l’idée à la matière, à quitter la spéculation pour l’impact. Mais il n’est qu’une esquisse. Ce qui compte, c’est ce qui suit. Ce moment fragile où l’on choisit non plus ce qui suffit pour fonctionner, mais ce qui mérite d’être aimé.

Dans un monde saturé d’offres, ce ne sont pas les produits les plus puissants qui gagnent. Ce sont ceux qui vibrent. Ceux qui laissent une trace douce, juste, vivante. Ceux qui prennent soin.

Et si innover, aujourd’hui, c’était sculpter une forme d’amour ?

Pas un amour naïf ou romantique, mais un amour du détail, du geste, du lien. Une manière de dire, sans rien dire : je tiens à toi.

C’est peut-être cela, le secret du Minimum Lovable Product : non pas séduire le monde, mais mériter d’être aimé – un peu, doucement, durablement.