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Cette citation m’a été révélée lors de l’une de ces merveilleuses conversations qui ponctuent mes semaines et que j’aborde comme un enfant ramassant des pierres sur la rive d’une rivière, choisissant chaque idée partagée comme on choisit un galet qui brille au soleil. Ce jour-là, c’est Rime qui m’a parlé de Picasso. Alors, Rime et son Pablo… et moi, face à cette phrase : « On met très longtemps à devenir jeune. »

À elle seule, elle contient un paradoxe magnifique : la jeunesse n’est pas un état que l’on quitte, mais un état que l’on apprend à laisser croître en soi.

Dans la vie professionnelle comme dans la vie intime, nous passons nos premières années à vouloir être pris au sérieux. Nous accumulons des compétences, des titres, des responsabilités. Nous empilons les preuves comme autant de briques pour construire notre crédibilité. Nous croyons que grandir, c’est se durcir. Puis, un jour, on découvre que le véritable aboutissement n’est pas de devenir “grand”, mais de retrouver ce qui nous rendait légers ; avec la force de celui qui a déjà traversé les tempêtes.

Nietzsche écrivait : « La maturité de l’homme, c’est d’avoir retrouvé le sérieux qu’on avait au jeu quand on était enfant. » Voilà la clé. Devenir jeune après avoir été adulte, c’est rejouer la partie, mais avec la lucidité des échecs passés. C’est allier l’audace à la sagesse, l’enthousiasme à la maîtrise.

Toute trajectoire vers cette jeunesse consciente passe par trois seuils invisibles.

Le premier, c’est celui où l’on cesse de se battre contre soi-même et contre ce qui échappe à notre prise. Marc Aurèle l’exprimait ainsi : « La tranquillité vient de l’ordre que l’on met en soi. »

Le second, c’est l’instant où le sol cesse de trembler sous nos pas, où les fondations sont assez stables pour permettre au regard de se porter au-delà de l’urgence. Sénèque écrivait : « Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles. »

Le troisième, enfin, c’est l’ouverture d’un espace où l’on ose de nouveau, où chaque risque est choisi, non subi. Comme le disait Saint-Exupéry : « Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible. »

Ces étapes ne se succèdent pas toujours dans l’ordre. Parfois on y revient, parfois elles s’entremêlent, mais elles tracent toujours une même ligne : celle qui mène vers un état intérieur où l’expérience cesse d’alourdir et commence à libérer.

Devenir jeune, alors, c’est garder intacte la curiosité, tempérer l’audace par la discipline, et préserver la capacité d’émerveillement d’un débutant éclairé. C’est travailler comme si l’on avait tout à apprendre, tout en s’appuyant sur ce qui a déjà été construit. Steve Jobs le résumait ainsi : « Stay hungry, stay foolish. »

Picasso avait raison : il faut du temps pour y parvenir. Du temps, et souvent quelques blessures, pour que le regard cesse de mesurer les années et commence à mesurer la profondeur. Une fois cette jeunesse retrouvée, elle échappe aux lois du calendrier : elle devient un état intérieur, une façon de marcher dans le monde avec légèreté, même chargé d’histoires. Comme le dit le Coran : « En vérité, c’est par le rappel de Dieu que les cœurs trouvent la quiétude. » (Sourate Ar-Ra’d) — et c’est dans cette quiétude que se prépare la plus belle des audaces : écrire de nouvelles pages, élargir l’horizon, avancer sans se retourner.

Alors, je me donne rendez-vous avec cette jeunesse-là, celle qui ne s’achète pas et ne se joue pas, mais se cultive en silence. Et je laisserai mon visage se dénouer, lui qui a trop longtemps encaissé les vents contraires, les éclats et même les brûlures du soleil ; ce soleil pourtant né pour donner la vie. Je veux qu’il retrouve son éclat premier, non pas celui que l’âge distribue ou retire, mais celui qui naît d’un regard redevenu clair, habité par la paix, enraciné dans son assise, et libre de s’élancer vers demain.