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La grâce fragile de la confiance

Vendredi soir, avant de partir, ma fille a pris ma main et y a déposé un baiser. Ce geste, d’une simplicité infinie, n’était pas un signe de soumission, mais d’amour et de gratitude. Rien n’était demandé, rien n’était attendu. C’était un don. Et c’est moi, le père imparfait, qui me suis retrouvé soudain obligé : non pas d’exiger, mais de mériter que cette confiance spontanée continue d’exister.

Une autre image s’impose alors : celle de la jeunesse de mon pays, depuis dix jours déjà dans les rues. Elle n’a pas choisi le silence, l’indifférence, le repli. Elle a choisi la marche, le cri, la persistance. Comme ma fille, elle aurait pu offrir un baiser de confiance, mais peut-être a-t-on trop tardé à l’écouter. Peut-être avons-nous exagéré à ne pas comprendre ses signaux, ses blessures, ses impatiences. Et voilà que la grâce du baiser n’est plus de mise : il reste la clameur, l’urgence, la révolte.

La jeunesse ne réclame pas seulement des droits : elle tendait depuis longtemps un geste de reconnaissance et d’amour. Mais combien de fois l’avons-nous ignoré ? Combien de fois avons-nous confondu son élan pour un caprice ? Chaque manifestation, chaque rassemblement est peut-être le signe d’un retard accumulé. Et l’on sait qu’il est des retards qui coûtent des générations entières.

Le baiser de ma fille m’a réveillé avant qu’il ne soit trop tard. Celui de la jeunesse marocaine nous attend encore, mais il s’effrite. Ce qu’elle offre aujourd’hui, dans ses marches et ses slogans, ce n’est plus la grâce tranquille d’un geste intime : c’est un appel vibrant, une exigence ultime pour que le pays devienne enfin un parent digne de ses enfants. Et si nous n’entendons pas, il n’y aura bientôt plus de gestes tendres, mais seulement des séparations.

Ce qui est vrai entre un père et une fille, entre un pays et sa jeunesse, l’est aussi dans l’économie et dans nos entreprises. La confiance n’est jamais acquise : elle est offerte comme un baiser, fragile et magnifique. À nous de mériter cette grâce, à nous d’en faire le socle d’un vivre-ensemble durable, d’un Beautiful Business qui n’a pas peur de l’imparfait, mais qui en fait la source de sa dignité.

Être père, être pays, être entreprise : c’est la même responsabilité. Répondre avant de perdre. S’élever non pour être parfaits, mais pour rester dignes de l’amour et de la confiance qui nous sont encore offerts.