6 h 52
Le café est tiède, le cœur aussi. La ville dort encore, mais le ciel commence à se fendiller, comme chaque matin depuis le 8 septembre 2023. Je sens la terre qui n’a pas fini de trembler en moi.
Dans deux heures, j’enfilerai un costume noir, je fermerai la porte derrière moi, je conduirai vers Tahannaout. Pas vers un bureau, pas vers un stand de conférence : vers Café Jnane Zaytoun, une bâtisse de pisé et de cèdre qui sent encore la poussière de la veille. Là-bas, à 10h, on démarrera PROMET 4 AL HAOUZ.
Ma famille est de Al Haouz. Mes grands-parents, leurs parents avant eux, la terre et le sang. Je n’ai pas choisi l’attachement, il m’a choisi. Aujourd’hui je retourne sur cette terre fendue, et le cœur me chavire. Abdellatif avait deux ans de plus. Il est resté dans l’eau d’Ourika en 1995. Je n’ai pas oublié le bruit qu’une rivière fait quand elle arrache un prénom. Cette fois-ci ce n’est pas l’eau, c’est la terre ; même province, autre plaie, même gravité dans la poitrine.
9h, j’appuierai sur le démarreur. Seul. J’ai besoin de la route, des virages, du silence carburant pour transformer le souvenir en devoir. Je ne suis pas un héros, juste un maillon qui tient aujourd’hui. Pour l’équipe EBF, pour le programme, pour les 1500 bénéficiaires qui attendent qu’on leur rende la parole.
Je pars. Le moteur va tourner dans deux heures. Abdellatif sera sur le siège passager, muet. Le Haouz devant, immense, m’attend pour rendre la pareille au temps.
Jnane Zaytoun : hauts plafonds, arcades, odeur de thé brûlant et de bois sec. Une centaine par groupe, plusieurs groupes, trois jours. Pas de scène, pas de tribune : une table, un paper-board, des micros ouverts. Je commencerai par remercier l’ensemble des partenaires, GIZ et tous ceux qui ont croisé leurs compétences, d’avoir mis la confiance avant tout le reste.
Puis je me tairai. La parole ira aux artisans de tapis, aux menuisiers, aux producteurs de miels et d’herbes sauvages, à ceux qui ont vu leurs ateliers fendus, leurs commandes envolées, leurs clients disparus. Pas de promesse magique ; juste des outils pour ré-apprendre à vendre, à produire, à expédier, à se faire trouver.
La reconstruction ne se mesure pas en béton. Elle se mesure en voix qui se relèvent, en projets qui se parlent, en identités qui se réparent.
Je chavire, mais je reste debout. Parce que le Haouz ne demande pas un sauveur, il demande qu’on lui rende sa voix. Et aujourd’hui, à Tahannaoute, avec les bénéficiaires, avec tous nos partenaires, la résilience se joue en chœur, la chaîne se solidifie.