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Ma fille me parlait hier en voiture. Le jour ne s’était pas encore essoufflé, cette heure où malgré le brouhaha du trafic Marrakech devient dorée et les remparts s’étirent comme s’ils voulaient retenir le soleil un peu plus longtemps. Elle racontait son amie, leurs longues discussions, leurs silences, leur capacité à disparaître l’une de l’autre sans que rien ne casse. Trois mois sans message, parfois, et pourtant, à la première phrase, tout reprend exactement là où ça s’était arrêté. Comme si le temps n’existait pas entre elles.

Je l’écoutais, mi-fasciné, mi-envieux. Pas de règles, pas de drame, pas de besoin de se prouver quoi que ce soit. Leur amitié semble fonctionner à une fréquence que les adultes ont perdue. Pas d’obligation de présence, pas d’angoisse de distance. Juste la conviction tranquille que ce qui est vrai ne bouge pas.

Elle parlait aussi de ce pacte implicite entre elles : si un jour elles devaient aimer la même personne ou convoiter la même chose, ce serait leur lien à elles qui primerait. Aucun débat, aucun serment, juste une évidence. J’ai souri intérieurement ; deux adolescentes qui, sans discours ni grands mots, ont compris l’essentiel de l’économie du monde : la confiance avant l’intérêt.

On roulait le long des remparts de la Mamounia. Je me suis souvenu que son nom vient de amān, la paix, la sécurité donnée. Et tout s’est aligné dans ma tête : ces deux jeunes filles, le mot amān, le latin credere. Croire. C’est la même famille d’idées, la même vibration humaine depuis toujours : croire en ce qui ne s’explique pas.

Leurs discussions ont la pureté d’un contrat antique, sans signature ni condition. Chacune sait que l’autre honore la parole, même sans la répéter. Et cette certitude, cette paix qu’elles ont dans la voix quand elles en parlent, m’a bouleversé plus que je ne l’ai laissé paraître.

Nous, les adultes, avons appris à transformer la confiance en pacte d’associés et contrats de co-gérance, nous avons même créé des syndics pour nous garantir nos droits de vivre ensemble. Eux la vivent comme une respiration.

Elles me rappellent que le crédit, ce n’est pas seulement une affaire de banques, c’est la plus ancienne forme d’amour humain : faire confiance à quelqu’un sans savoir quand, ni comment, il nous rendra cette foi.

À ce moment précis, je me suis dit que si l’économie tenait encore debout, c’était sûrement grâce à des conversations de ce genre, dans des voitures, au coucher du soleil.

Et j’ai continué de rouler en écoutant, avec cette sensation étrange que c’était peut-être moi, le débiteur dans l’histoire.