Ce dimanche, l’automne a commencé. L’équinoxe a marqué la bascule, presque imperceptible mais implacable. L’air change, la lumière se décale, les feuilles s’apprêtent à s’incliner vers le sol. Nous regarderons demain les arbres et nous croirons assister à une perte, comme si la nature elle-même entrait en deuil. Mais si l’arbre pouvait nous parler, il ne dirait pas qu’il perd. Il dirait qu’il se transforme.
Car l’arbre ne s’accroche pas. Il ne résiste pas à la loi du temps. Il lâche, avec une simplicité qui nous échappe. Les feuilles qui l’ont nourri tout l’été ne sont plus utiles ; elles doivent tomber pour que la sève se concentre ailleurs, plus profondément. C’est une stratégie de survie, mais c’est aussi une sagesse. Il accepte ce que nous passons nos vies à redouter : se délester pour continuer à vivre.
Cette sérénité devant la perte nous trouble. Nous, humains, avons fait du détachement un supplice, comme si l’existence ne tenait qu’à ce que nous accumulons et retenons. L’arbre nous contredit. Il montre que l’énergie véritable ne réside pas dans ce que l’on garde mais dans ce que l’on sait laisser aller. Sa grandeur n’est pas dans son feuillage flamboyant, mais dans la confiance invisible de ses racines.
Il y a pourtant une beauté bouleversante dans ce moment de dépouillement. Les feuilles ne tombent pas ternes et discrètes : elles s’embrasent. Au bord de la chute, elles s’offrent avec plus d’intensité qu’au cœur de l’été. Comme si la vie, au moment de se retirer, voulait nous rappeler qu’il existe une splendeur dans l’adieu, une noblesse dans le dépouillement. Ce n’est pas une mort, c’est une transfiguration.
Il y a aussi une dimension de transmission. Les feuilles qui tombent ne disparaissent pas. Elles deviennent humus, elles nourrissent la terre, elles préparent d’autres vies. Ce que nous voyons comme un effacement est en réalité une circulation. L’arbre ne se réduit pas à lui-même : il participe à un cycle plus grand, qui inclut le sol, l’air, l’eau, les générations futures de semences.
Et nous, que faisons-nous de nos propres automnes intérieurs ? Notre cerveau est comme une loupe qui agrandit ce sur quoi nous portons notre attention. Si nous restons fixés sur la peur de la perte, nous l’amplifions jusqu’à l’étouffement. Mais si nous choisissons de poser notre regard sur la gratitude, sur les saisons traversées, un travail accompli, une santé préservée, un voyage vécu, une découverte intérieure, alors nous donnons à l’univers l’occasion de nous livrer davantage de ce que nous honorons déjà. L’arbre lâche ses feuilles, nous pouvons lâcher nos inquiétudes. L’arbre nourrit la terre, nous pouvons nourrir nos esprits en instituant des rituels de focus quotidien, simples et réguliers, qui transforment l’automne en commencement plutôt qu’en fin.