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Hier, j’ai eu droit à mes soixante minutes devant les MBA de Darden, The University of Virginia. Pas de tableau noir, pas de case à cocher : juste moi, mon hoodie imaginaire « Marrakech-Safi » et une envie de leur dire « bonjour, l’entrepreneuriat ici ne porte pas de cravate, il porte des babouches ».

Je leur ai parlé d’Amine de Tidar. 10 000 dollars de financement, un laptop, deux associés, zéro tournevis. Résultat : le noyau d’une startup d’État “Pass Jeunes” puis une plateforme de billetterie qui compte aujourd’hui des revenus en millions de dollars.
J’ai vu leurs yeux s’agrandir : moins que le prix d’un iPhone 17 pour faire éclore un business qui dépasse le PIB d’un village entier. Frugalité level 100, exit le folklore du « il faut lever $5M pour décoller ».

Puis j’ai balancé le chiffre qui fait « waouh » même quand on l’a vécu : 7 000 bénéficiaires depuis qu’EBF existe avec un tiers financé, oui plus d’un tiers réalisé.
2 400 fois quelqu’un a dit « j’ai une idée » et nous avons répondu « vas-y, teste, casse-toi pas la tête, on est là ». 2 400 fois un rêve en mode beta, pas en mode PowerPoint.

Et la leçon d’humilité que j’ai gratuitement partagé avec les Dardenien : la visite en 2019 à EBF des gars de Medtronic. Ils arrivent, implants cardiaques dans les valises, process en Six Sigma, et ils se retrouvent dans l’ancienne usine textile de Sidi Ghanem à respirer la poussière de créativité. J’explique nos KPI, ils hochent la tête, puis un ingénieur me sort : « Chez nous, un projet met cinq ans à voir le jour ; ici vous le faites en cinq mois, comment ? » J’ai eu la réponse en décalage parfait : « On n’a pas le temps d’attendre, on a que le temps d’essayer. » Frugalité quand tu nous tiens.
Leur claque, ma claque, tout le monde est resté humble. 

Ensuite, bien sûr, j’ai évoqué les CCI, Industries Créatives & Culturelles, notre joker régional. Avec la lumière de Marrakech, on ne produirait pas seulement de l’art, on exporterait de l’énergie créative. Digital, cinéma, design, jeux vidéo, mode, artisanat 3.0 : le futur s’écrit ici, entre deux tags de calligraphie et un shoot TikTok.

Et les femmes ? Question qu’on m’a posée avec une gêne difficilement déguisée. J’ai répondu que pilier important de nos programmes d’accompagnement. Pas par quota, par design. On a décrété que « impact » s’accorde au féminin. KPI au féminin : moins de testosterone, plus de résilience. Rires dans la salle, mais c’est fact-checké.

Puis la question qui fait trembler mes chaussures noires nippones : « What’s the dream ? » J’ai senti le papillon Zhuangzi se réveiller dans ma gorge. J’ai répondu : « Je ne sais plus si je suis l’incubateur qui rêve d’être un papillon, ou le papillon qui rêve d’être un incubateur. Posez-moi cette question chaque matin, qu’on garde la transformation en marche. » Silence, puis un grand sourire. Je crois qu’on a partagé le même rêve pendant soixante minutes.

Alors merci.  

Merci à mes profs de philo qui m’ont appris à douter, donc à pivoter.
Merci aux associés qui m’ont appris à compter, donc à survivre.
Merci aux amis-partenaires, tuteurs de mon arbre à projets : vous taillez, je pousse, parfois l’inverse.
Merci même à ceux qui m’ont appris à désapprendre : les fausses bonnes idées, les ego surdimensionnés, les slides trop remplis.
Merci aux 7 000 rêves qui m’autorisent à rêver plus grand, plus vite, plus babouches.

Et merci à vous, Darden MBA, d’avoir pris des notes d’un rescapé universitaire et un humble entrepreneur de Marigha. Entre Zhuangzi et moi, il doit bien exister une différence ; hier, pendant une heure, elle s’appelait juste « partage ».

 

«Un jour j’ai rêvé que j’étais un papillon, et à présent je ne sais plus si je suis Tchouang-tseu qui a rêvé qu’il était un papillon ou bien si je suis un papillon qui rêve que je suis Tchouang-tseu.»