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Vacance et labeur, fragments d’un même poème ?

Au cœur de mon séjour, ici au Japon, je me découvre vacant autrement. Les rues de Tokyo, vibrantes et saturées de néons, me rappellent combien la vie peut être à la fois débordante et ordonnée. Ce soir, arrivé à peine à Osaka, cœur pris au piège par cette geisha dont le charme flirte avec le blasphème, sur ce rooftop qui annonce le savoureux menu des jours à venir. Dans ce tumulte, je trouve paradoxalement un espace de silence intérieur où mes pensées, comme les lanternes flottantes d’un festival d’été, se mettent à dériver.

Chaque journée me livre ses métaphores. Tokyo m’a offert la danse des foules et la frivolité des vitrines, petites fresques d’instantanéité où chaque pas devient une idée à cueillir. Ce soir, premier rendez-vous avec Osaka, et Kyoto demain m’invitera à la lenteur de ses jardins et à la rigueur de ses temples, comme une fresque de méditation. Osaka au prochain rencard me rappellera que l’excès, sous la forme d’une agape généreuse, peut lui aussi être célébration. Et au détour de ces instants partagés, je trouve une complicité silencieuse, assez discrète pour que chaque détour prenne des airs de leçon intime.

C’est alors là que je surprends mon esprit errer, dites-moi si je suis seul : et si le bonheur des vacances pouvait durer plus longtemps ? Si ces heures de détachement trouvaient, comme l’eau au pied de Fuji, une manière de continuer à couler jusque dans les journées de labeur ? Peut-être que le travail n’est pas un mur qui arrête, mais un autre lit où le flot des passions se concentre et se renouvelle.

Je souris à cette idée car, au fond, vacances et travail ne sont pas si différents. Ici aussi, je coche des temples comme on coche des cases de tâches quotidiennes, j’ajuste mes dépenses comme un prévisionnel comparé à un réalisé. Même le café, ce compagnon du matin, prend une autre saveur : est-il ici simple réflexe, ou devient-il un rituel sacré, fidèle et indéfectible, que je sois dans mon bureau ou au buffet de mon hôtel ?

Et bientôt viendront les fresques du labeur. Elles n’auront pas les couleurs de Kyoto ni les lumières de Tokyo, mais elles auront leur beauté propre : celle de l’effort soutenu, de la promesse honorée. On dit que le travail vient de la peine, de l’asservissement. Mais moi, je préfère penser à la calligraphie nippone : chaque trait impose une discipline, chaque geste une contrainte, et pourtant, dans cette ascèse, naît une grâce qui frôle le divin.

Et je souris à cette métaphore qui s’impose : un cliché publié en story est-il pour soi ou pour les autres ? Peut-être les deux. Parfois, c’est l’envie de garder pour soi une trace de douceur, parfois c’est le sentiment pressant de vouloir la partager, comme si la joie devait circuler pour exister pleinement. Et si le baromètre de ma passion, pour le labeur comme pour les vacances, était justement là, dans cette fonction éphémère d’Instagram ?

Je dois l’avouer d’ailleurs pour le travail : parfois, je me demande si ce que je fais, je le fais par amour d’entreprendre… ou pour être aimé en entreprenant. Barthes l’a bien dit : être aimé, c’est attendre un signe, c’est vivre suspendu à la réponse de l’autre, à cette approbation qui nous apaise autant qu’elle nous rend dépendants. Mais l’entrepreneuriat, lorsqu’il devient amour véritable, échappe à ce besoin de signe. Or aimer entreprendre, c’est précisément cela : ne pas attendre le retour des autres, mais se nourrir de la beauté du geste. Créer comme on respire, travailler comme on marche dans une ruelle de Kyoto et qu’au détour, sans prévenir, surgit un sanctuaire invisible à la foule. S’émerveiller de l’avoir trouvé, sans spectateur, sans témoin, pour soi seul ; et déjà, c’est assez.

Alors je me dis que peut-être il n’y a pas à choisir. Vacance et labeur s’embrassent comme le yin et le yang, chacun porte en lui l’ombre et la lumière de l’autre. Comme la respiration, où l’inspiration ressemble à la vacance, recevoir, accueillir, contempler, et l’expiration au travail, agir, donner, bâtir. Entreprendre, au fond, n’est-ce pas respirer ainsi, osciller entre les deux pôles sans jamais vouloir les séparer ?

Alors je repense à la passion, pathos en grec, mélange de souffrance et d’émotion. Faut-il accorder aux vacances et au travail un même espace de vie, fût-il imaginaire ? Peut-être. Car c’est là que se niche le vrai bonheur : au croisement de l’exigence et de l’émerveillement.

Et vous, d’ailleurs ? Si vous deviez peindre votre journée de demain, choisiriez-vous la palette des vacances ou celle du labeur ? Peut-être, comme moi, rêveriez-vous d’un tableau hybride, où la lumière des lanternes de Tokyo, la pudeur de Fuji, la ferveur d’Osaka et la sérénité de Kyoto viendraient illuminer vos fresques de travail. Moi, je crois que c’est là que réside l’art d’entreprendre : dans cette vacance et ce labeur, réunis dans un même souffle.