Venez, on parle d’avarice.
Pas l’avarice caricaturale de la littérature, mais celle qui se faufile dans le langage. Celle qui s’exprime à travers des phrases en apparence raisonnables, polies, professionnelles, mais qui trahissent toujours la même logique : retenir, réduire, encadrer, éviter de se mouiller. L’avarice ne dit jamais “je retiens”. Elle dit “soyons raisonnables”. Elle dit rarement “je ne veux pas contribuer”. Elle dit “il faut rester concentrés sur l’essentiel”. Elle ne dit jamais “je ne partage rien”. Elle dit “on ne va pas se disperser”. C’est comme ça qu’elle gagne : par des mots sobres, polis, parfaitement défendables. Elle adore la respectabilité. Elle vit de nuances. Elle se nourrit de demi-ton.
L’avarice parle dans la manière dont on cadre un projet. Quand un projet commence, l’élan est pur, intact. L’avarice surgit et dit : “Peut-être qu’on ne devrait pas viser si grand.” Elle prétend protéger, mais elle étrangle. Ce n’est jamais “je réduis le projet”, c’est “il faut rester pragmatique”. Elle adore que tout ait l’air raisonnable.
Elle parle dans les silences. Elle ne répond pas vraiment, elle laisse flotter. Elle attend que quelqu’un d’autre prenne la charge, le risque, la coordination. Le silence est son arme préférée. Moins compromettant qu’un refus, moins exigeant qu’un engagement. Là où le courage dit “je prends”, l’avarice dit “je laisse voir”.
Elle parle dans la gestion du temps. L’avarice n’a jamais de place pour ce qui demande un peu d’âme. Elle repousse, comprime, demande des versions rapides, light, minimales. Non pas parce qu’elle manque de temps, mais parce qu’elle manque d’ouverture. Ce n’est jamais une question d’agenda. C’est une question de don.
Elle parle dans les promesses qu’elle ne fait pas. La générosité se reconnaît à ses gestes, l’avarice à ses non-gestes. Elle ne s’engage jamais vraiment. Elle reste “en réflexion”, “en évaluation”, “en attente d’un meilleur moment”, moment qui n’existe pas. Elle crée ces interludes pour ne pas occuper de place.
Elle parle dans la manière de définir la relation professionnelle. On l’entend dire : “Ce n’est pas mon rôle”, ou “on va rester chacun dans notre périmètre”. Le périmètre est son terrain de jeu. Les frontières sont son refuge. Là où un écosystème vit de circulation, l’avarice crée des murs. On ne la reconnaît pas à ce qu’elle donne, mais à ce qu’elle refuse de laisser circuler.
Elle parle dans le rapport à la valeur. L’avarice ne comprend pas la valeur vivante, celle qui se multiplie par circulation. Elle ne sait compter que ce qui s’accumule. Elle croit que la valeur s’ajoute, jamais qu’elle se transmet. Elle confond mouvement et perte. Elle voit le monde comme une économie de retenue.
Elle parle dans notre difficulté à être traversés. L’avarice n’est jamais spectaculaire. Elle n’a rien de grandiose, rien de violent. Elle est simplement fermée. Fermée à l’élan, aux autres, aux idées qui ne viennent pas d’elle, aux responsabilités qui demandent autre chose que du calcul. Elle est la fermeture déguisée en maturité.
Alors, de quoi parle-t-on quand on parle d’avarice ? De cette incapacité à laisser circuler ce que nous portons : nos idées, notre temps, notre écoute, nos gestes. De cette peur de s’alléger. De cette illusion que retenir est une manière d’être. L’avarice n’est pas un défaut moral. C’est un rapport fermé au monde. Et le Beautiful Business repose sur l’inverse : le flux, la mise en commun, la confiance dans ce qui se transmet. L’avarice est une économie du rabougrissement. Le Beautiful Business une économie de l’ouverture. L’un fige. L’autre fait vivre.
